Malgré son procès pour corruption, Trafigura est remontée dans le train angolais
Ils ont fait la queue la veille au petit matin pour décrocher leur billet de train. Par petits groupes, les bras chargés de bagages compacts, les enfants enroulés dans les pagnes bigarrés de leurs mamans, les voyageurs et voyageuses au départ de Lobito se pressent dans les vieux wagons du Caminho de Ferro de Benguela. La compagnie ferroviaire centenaire, qui opérait déjà la ligne au temps de la colonisation portugaise, traverse l’Angola d’ouest en est, jusqu’à la confluence avec la République démocratique du Congo (RDC) et la Zambie.
À Lobito, un port atlantique à 400 kilomètres de la capitale Luanda, les places sont rares, comme nous avons pu le constater. Mais, à mesure que le convoi hebdomadaire s’enfonce dans le cœur du pays, à travers les vétustes gares de fabrication chinoise, elles deviennent un enjeu vital. Ici pour rejoindre l’être aimé dans une province enclavée ; là pour commercialiser son manioc, son maïs ou ses arachides dans la prochaine agglomération. La société chinoise qui a réhabilité la voie ferrée après la guerre civile angolaise (1975-2002) avait promis de convoyer 4,5 millions de personnes par an. Elle n’a concrétisé qu’une infime fraction de ses promesses, avant d’être dépossédée de son ouvrage, dont les convois de marchandises ont été confiés en 2022 à un consortium « européen ».
Baptisé Lobito Atlantic Railway (LAR), et doublé d’une entité juridique domiciliée dans l’immeuble de Trafigura à Genève, ce consortium est emmené par la maison de négoce, associée au groupe d’ingénierie portugais Mota Engil et à l’opérateur ferroviaire belge Vecturis. Dans leur ligne de mire : les très lucratives mines de cuivre et de cobalt – deux métaux essentiels à la décarbonation de l’économie mondiale – de la copperbelt centre-africaine, à 1700 kilomètres de voie ferrée de Lobito.
Or, le cofondateur de Trafigura Claude Dauphin (décédé en 2015) avait déjà posé les fondations de ce projet, qui a aujourd’hui obtenu l’aval de l’administration Biden. Au début des années 2010, la maison de négoce a commencé à investir des dizaines de millions le long du corridor, via une filiale opaque liée à un haut cadre angolais, aujourd’hui sous sanctions du Trésor états-unien, et administrée par Mariano Marcondes Ferraz, en prison pour corruption au Brésil. C’est cet homme d’affaires qui vaut aujourd’hui à Trafigura d’être jugée en Suisse pour avoir versé des pots-de-vin sur le marché pétrolier angolais.
Début octobre, Public Eye a remonté la piste angolaise afin de comprendre comment Trafigura, malgré ses déboires judiciaires, a mis la main sur la concession du corridor de Lobito.
La porte de l’Atlantique
À quelques traverses du chaos de la gare de Lobito, les pelles mécaniques du terminal portuaire s’affairent à transborder du concentré de cuivre, chargé sur des wagons, dans le ventre d’un vraquier battant pavillon libérien. Le métal – utilisé dans les batteries électriques pour sa haute conductivité – provient de la mine congolaise Kamoa-Kakula, en mains du groupe canadien Ivanhoe Mining. Cette cargaison est transportée par le consortium LAR, qui a officiellement débuté les opérations mi-juillet 2024.
Jusqu’à présent, le convoi des ressources de Kolwezi, au sud de la République démocratique du Congo (RDC), s’opérait principalement via un ballet incessant de camions, transportant les métaux sur des milliers de kilomètres, avant d’atteindre un port, généralement est-africain. Par ses centaines de kilomètres de voie ferrée, le corridor de Lobito offre donc un débouché plus intéressant sur les plans écologique et logistique (5 à 7 jours contre plus d’un mois), ouvert sur l’Atlantique et, donc, sur l’Occident et son industrie.
Alors que le convoi de personnes est toujours opéré – dans une inefficience qui frôle la caricature – par la compagnie ferroviaire nationale, l’arrivée de LAR pourrait représenter un bouleversement pour l’Afrique centrale. Pour l’heure, c’est le poste-frontière de Kasumbalesa, entre la RDC et la Zambie, qui voit passer la plupart du transit minier de Kolwezi. La région compte de forts intérêts économiques : ceux des conglomérats chinois qui contrôlent 80 % des mines de cuivre du Congo, ou encore de groupes occidentaux comme le géant zougois Glencore, qui y extrait annuellement 2,45 millions de tonnes de cuivre et près de 40 ’000 tonnes de cobalt. Mais aussi les intérêts des caciques locaux, comme l’ancien gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi, qui exploite une flotte de camions via son entreprise Hakuna Matata. « On invente une nouvelle sortie-frontière à Luau [la dernière gare angolaise avant la RDC], commente un fin connaisseur de la région, qui n’a pas souhaité être nommé. Celui qui contrôle les douanes contrôle toute la RDC. »
La possibilité de damer le pion au rival chinois sur ses plates-bandes africaines a tellement plu à l’administration Biden qu’elle y a employé toute sa machinerie diplomatique. Son bras humanitaire, la Development Finance Corporation (DFC), a promis 250 millions de dollars US, en février 2024, avant de doubler ce montant en juin dernier. Les agences fédérales, qui ne parlent plus que de « financer l’intégration économique de l’Afrique », ont convaincu d’autres investisseurs de monter à bord, comme la Banque africaine de développement ou la Commission européenne. Au dernier pointage, le montant total du crowdfunding institutionnel s’élevait à quatre milliards de dollars pour moderniser les infrastructures, accélérer la cadence des trains et stimuler l’économie locale. De son côté, Trafigura se félicite de cette « voie d’accès au marché plus efficace et moins carbonée pour le cuivre, le cobalt et d’autres métaux essentiels à la transition énergétique ».
Cette alliance de circonstances entre l’administration Biden et Trafigura a de quoi surprendre. D’abord en raison de la récente condamnation de la maison de négoce genevoise par la justice états-unienne, le 28 mars 2024, pour avoir versé des pots-de-vin à des fonctionnaires de la société pétrolière publique brésilienne Petrobras afin d’obtenir des contrats favorables. Et surtout parce que l’historique de Trafigura en Angola est accablant...
Le règne de Trafigura en Angola
En Angola, la guerre d’indépendance (1961-1975) et la guerre civile (1975-2002) ont fait un million de victimes, laissant une région minée et une économie ravagée. Depuis son indépendance, le pays n’a connu que des présidents militaires issus du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), un parti-État de libre inspiration marxiste-léniniste. José Eduardo Dos Santos, qui a présidé aux destinées du pays de 1979 à 2017, met en place, dans les années 1990, un système obligeant les investisseurs étrangers à s’allier à des partenaires angolais·e·s afin de favoriser la création d’une « bourgeoisie nationale » censée réinvestir dans l’économie locale. Le but affiché : créer un cercle vertueux de richesse et d’emplois.
Les cadres du MPLA ainsi que leurs proches – des kleptocrates que la population angolaise appelle « Marimbondos » (guêpes) – se voient ainsi offrir des parts dans des coentreprises (joint-ventures) avec des investisseurs étrangers. La plus connue d’entre eux : la fille du président, Isabel Dos Santos, devenue, à sa trentaine, plus riche femme d’Afrique et directrice opérationnelle d’entreprises publiques et privées. « Les puissants ne se sont pas contentés de s’emparer de l’argent, des biens et des opportunités : la politique officielle, c’est qu’il faut les aider dans ces démarches », écrivait en 2015 Ricardo Soares de Oliveira, professeur à l’Université d’Oxford et auteur de l’ouvrage de référence Magnificent and Beggar Land: Angola since the Civil War.
Sous l’ère Dos Santos, Trafigura devient un partenaire-clé, voire incontournable. Pour décrocher des contrats pétroliers, le négociant genevois s’allie à des militaires occupant des fonctions gouvernementales. Parmi ces liaisons dangereuses : le général Leopoldino Fragoso do Nascimento. Plus connu dans le pays sous son surnom « Dino », il est chef de la communication de la présidence angolaise, avant de devenir conseiller spécial d’un autre général, Manuel Hélder Vieira Dias Jr. (dit « Kopelipa »). Et surtout... entrepreneur à ses heures perdues.
Ensemble, le général et le négociant mettent en place un réseau de sociétés réunies autour de DTS Holdings, une société basée à Singapour, mais dont les filiales sont déclinées en Angola sous l’acronyme DT Group (pour Dino et Trafigura). Selon le site d’investigation Maka Angola, Kopelipa a été un temps, lui aussi, administrateur de DT Group.
C’est via cette coentreprise que Trafigura met en place, en 2009, l’un de ses « deals » les plus lucratifs. En amont, la maison de négoce se procure du brut à bas prix provenant de la société pétrolière d’État Sonangol (les quantités obtenues n’ont jamais été révélées). En aval, elle fournit aux Angolais·e·s du carburant raffiné via son réseau de centaines de stations-service Pumangol, coentreprise entre Puma Energy, filiale de Trafigura, et Cochan S.A., en mains du général Dino. Car l’Angola a beau être le deuxième producteur de brut en Afrique (plus d’un million de barils par jour), ses capacités de raffinage sont bien insuffisantes pour satisfaire aux besoins de sa population croissante (38 millions d’habitant·e·s aujourd’hui). Ce marché captif était déjà évalué, en 2011, à 3,3 milliards de dollars par an.
Lire l’enquête de Public Eye « Les affaires angolaises de Trafigura », publiée en 2013
Le partenaire Dino est problématique pour Trafigura. Il s’agit d’un « PEP », une personne politiquement exposée. Soit, pour Trafigura ou les banques qui financent les activités de négoce, un partenaire commercial avec qui il faut traiter prudemment, en faisant preuve d’une diligence raisonnable, d’autant plus qu’il combine fonctions publiques et activités commerciales en son propre intérêt.
Certaines filiales du groupe DT, ainsi que ses intermédiaires historiques, ont permis à Trafigura de mettre un pied dans le corridor de Lobito, facilitant l’obtention de la concession. Nous y reviendrons.
Le procès suisse de Trafigura
À partir du 2 décembre prochain, le Tribunal pénal fédéral de Bellinzone se penchera sur une affaire de pots-de-vin versés au directeur de la filiale de distribution de Sonangol, Paulo Gouveia Júnior. Entre août 2009 et juillet 2011, celui-ci a reçu – via son entité offshore Wyland Group, sur son compte auprès de la filiale genevoise de Crédit Agricole (aujourd’hui CA Indosuez) – près de 4 millions d’euros, en 16 transferts, provenant de ConsultCo Trading Ltd., domiciliée aux îles Vierges britanniques. Quelque 350 000 euros ont été directement transférés par une société offshore en mains de Mariano Marcondes Ferraz (lire chapitre 5), Enelmer International LTD, le 10 juillet 2009. En outre, plus de 604 000 dollars ont été remis en espèces. Le but de ces paiements ? La signature de huit contrats d’affrêtement de navires et d’un contrat de soutage en faveur de Sonangol Distribuidora. Grâce à ces pots-de-vin, Trafigura aurait réalisé un profit illicite de 143,7 millions de dollars, selon les calculs du Ministère public de la Confédération (MPC).
ConsultCo Trading Ltd. est en mains d’un ancien employé de Trafigura, chargé de décrocher des contrats pétroliers en Angola, mais aussi en République du Congo, où il nourrissait d’excellentes relations avec le fils du président Denis Sassou-Nguesso, selon le média spécialisé Africa Intelligence. Il est également propriétaire et codirecteur du chantier naval de Corsier-Port, près de Genève, où mouillent les bateaux de plusieurs traders de Trafigura.
Pour la multinationale, qui a cherché à négocier avec la justice suisse, cette affaire est embarrassante. Outre le caractère inédit que représente le grand déballage d’une maison de négoce devant un tribunal, ce procès sera également l’occasion de se pencher sur la responsabilité d’un haut cadre de Trafigura, Michael Wainwright, dans le schéma corruptif.
Ancien chef des opérations et membre du conseil d’administration du groupe, le quinquagénaire a été placé en retraite anticipée début 2024. Le millionnaire, passionné de courses automobiles, figurait parmi les premiers employés (numéro 41) de la maison de négoce fondée en 1993, où il a débuté en tant que comptable. Décrit comme froid et méthodique, il était officiellement responsable des opérations de Trafigura. C’est lui, selon l’agence Bloomberg, qui approuvait personnellement jusqu’aux dépenses les plus minimes de ses employé·e·s. Un « perfectionnisme » qui l’a converti en cible dans les différentes procédures judiciaires essuyées par Trafigura. À l’annonce du procès en décembre 2023, « Mike » Wainwright, présumé innocent, s’est dit prêt à se défendre devant le tribunal.
Car le procès de Bellinzone sera surtout l’occasion de se pencher sur ce qui est décrit par plusieurs sources comme la « double comptabilité » de Trafigura. Et surtout sur le rôle de ConsultCo Trading Ltd., qui a reçu, à la même période, de nombreux versements de la part de Trafigura. Selon des documents consultés par Public Eye, cette entité offshore aurait reçu de Trafigura Beheer BV Amsterdam 51,8 millions de dollars en 56 transactions, réalisées entre le 9 janvier 2009 et le 1er septembre 2011. À quelle fin ? C’est l’une des questions qui restent aujourd’hui en suspens. Un contrat nommé « intermediary agreement » liait ConsultCo Trading Ltd. et une filiale du groupe DT, alors partiellement en mains de Dino, et ce « afin de donner une apparence de légitimité aux transferts de fonds […], lesquels étaient très majoritairement destinés à corrompre Gouveia », selon l’acte d’accusation du MPC. Contactée, Trafigura renvoie à son communiqué de presse de fin décembre 2023, soulignant avoir cherché à trouver une solution à l’amiable avec la justice suisse.
À cette période, la maison de négoce nourrissait deux projets en Angola : rouvrir des mines de fer (via DT Group) et exploiter une ligne de chemin de fer traversant le pays d’ouest en est vers la ceinture de cuivre centre-africaine, le corridor de Lobito. C’est également au début des années 2010 que Trafigura a, selon des documents officiels angolais, promis d’investir – via une filiale de DT Group – des dizaines de millions de dollars le long de son tracé.
L’Angola au centre du monde
Dans le train qui file tranquillement de gare en gare au rythme de 40 km/h, personne n’a entendu parler de Trafigura ou de son procès, pas même du côté des hommes qui arborent les gilets du consortium Lobito Atlantic Railway. On commente plus volontiers la venue à Luanda de Joe Biden, prévue la semaine suivante puis reportée à début décembre. Ce sera la première visite du démocrate en Afrique, et une première pour un président états-unien en Angola.
Car après avoir été mis au ban par les États-Unis, l’Angola vit le retour du grand Jeu diplomatique. La victoire surprise de João Lourenço (également issu du MPLA) aux élections présidentielles de 2017 a eu le double effet de faire chuter le clan Dos Santos – empêtré dans des procédures judiciaires pour détournement de fonds puis avec le décès du patriarche en 2022 à Barcelone – et de replacer l’Angola sur la carte des chancelleries occidentales. Une fois élu, Lourenço lance une campagne anti-corruption, écarte du cercle présidentiel les généraux Dino et Kopelipa et met fin aux partenariats angolais obligatoires pour les investisseurs étrangers. Ricardo Soares de Oliveira se souvient : « Quand Lourenço débarque au pouvoir, les Angolais pensent qu’il va mettre un terme au racket de Trafigura. L’entreprise est alors perçue comme un héritage des Dos Santos. De fait, il met fin à son monopole sur l’importation de produits pétroliers en ouvrant ce marché aux procédures d’appel d’offres ».
Sur le plan géopolitique, João Lourenço se met en quête de nouveaux partenaires stratégiques, alors que les accords conclus avec Pékin dans le cadre des Nouvelles routes de la soie (aujourd’hui appelées « La ceinture et la route ») essuient des critiques un peu partout dans le monde. Certaines infrastructures, construites par de la main-d’œuvre quasi exclusivement chinoise, se sont effondrées ou révélées inutilisables voire inutiles, comme en attestent les nombreuses gares délabrées le long du corridor. Et les prêts financiers – remboursables en matières premières – ont souvent fini, en raison de la chute des cours en 2015 ou en 2020, par asphyxier les économies extractivistes. En particulier l’Angola, qui a emprunté, depuis 2002, 45 milliards de dollars US aux prêteurs chinois, soit la moitié de son produit intérieur brut. Le pays, dont les exportations dépendent à 94 % des hydrocarbures, leur doit, aujourd’hui encore, 17 milliards de dollars.
L’administration Biden tente donc de capitaliser sur ce mécontentement. Le corridor de Lobito est son « navire amiral » (flagship), selon l’expression utilisée, qui doit lui permettre de placer ses pions en Afrique centrale, en offrant une alternative à la mainmise chinoise. Le deal représente pour Luanda « une triple opportunité de diversification économique, non-centrée sur l’exploitation du pétrole, hors de la capitale et surtout à équidistance entre Washington et Pékin », décrypte Heitor Carvalho. Directeur du centre de recherche économique de l’Université Lusíada d’Angola, celui qui multiplie les débats, parfois très animés, sur le corridor de Lobito, n’a aucun doute quant à l’avantage comparatif du tracé ferroviaire angolais par rapport aux projets alternatifs évoqués (corridor tanzanien ou port congolais) ou la rentabilité économique de sa branche minière. « Il y a aujourd’hui deux convois de minerais par semaine, alors qu’il pourrait y en avoir deux par jour », affirme-t-il.
Sur place, au vu des niveaux de vétusté des infrastructures et de la ferraille qui jonche le tracé, on peine à imaginer une telle cadence ferroviaire. Faute de trains, les habitant·e·s des communes rurales de l’intérieur du pays se déplacent le plus souvent sur les traverses des voies. La modernisation du tracé revient au consortium et à Trafigura, qui ont réussi à se placer en acteurs institutionnels dans la région, aux côtés de banques de développement.
Une boîte de Pandore nommée Mariano
Le bastion angolais de Trafigura semblait pourtant sérieusement menacé. À peine un an avant la transition politique angolaise, un événement a déclenché une réaction en chaîne, dont les répercussions se poursuivent aujourd’hui encore pour la maison de négoce genevoise. C’est l’arrestation, à l’aéroport de São Paulo le 26 octobre 2016, d’un certain Mariano Marcondes Ferraz, dans le cadre du scandale Petrobras au Brésil. Alors membre de la direction de Trafigura, l’homme d’affaires est condamné – par la justice brésilienne en 2018 (10 ans de prison) et par le Ministère public de la Confédération en 2019 (plus d’un million de francs de créance compensatrice) – pour avoir versé des pots-de-vin à un haut fonctionnaire de la société pétrolière étatique brésilienne.
Or, Mariano Marcondes Ferraz prospectait également pour le compte de Trafigura en Angola, où il était directeur opérationnel de DT Group, la coentreprise du négociant genevois et du général Dino. En échange d’une réduction de sa peine, le Brésilien est passé à table, décrivant certains flux financiers douteux à la justice... notamment en Angola. Un témoignage que Trafigura a tenté de faire invalider en justice, selon le média spécialisé Gotham City.
La Suisse a ouvert, en juillet 2020, une instruction pénale « contre inconnu » pour soupçons de corruption d’agents publics en Angola. Trafigura s’empresse dès lors de faire le ménage. Grâce à une série de transactions actionnariales, réalisées entre mars 2020 et septembre 2021, la maison de négoce « purge » son capital de Dino, devenu trop encombrant. Elle commence par racheter les parts du général (via ses sociétés Cochan) dans Puma Energy et DTS Holdings Pte. Ltd. En parallèle, Trafigura échange la totalité des parts de Sonangol Holdings dans Puma Energy (estimées à 600 millions de dollars) et lui cède ses actifs angolais, dont ses précieuses stations-service Pumangol.
Le niveau d’alerte monte encore le 9 décembre 2021. Le Trésor états-unien place alors sur sa liste de personnes « désignées » le général Dino, quatre de ses sociétés (dont Cochan S.A. et Cochan Holdings S.A.), ainsi que son supérieur hiérarchique, le général Kopelipa et Isabel Dos Santos. Interdiction, donc, de faire affaires avec les deux généraux et la fille du président, qui se font également bloquer leurs actifs. Mais Trafigura semble déjà avoir accompli sa mission en promettant de se désengager du pays et de couper ses liens avec son élite corrompue. Dino s’est, lui, enrichi de plusieurs centaines de millions de dollars dans ces transactions suspectes et disparaît d’Angola.
À la fin 2023, le Ministère public de la Confédération annonce avoir déposé un acte d’accusation contre Trafigura et trois personnes physiques, dont « Mike » Wainwright, en lien avec le secteur pétrolier angolais, quand le pays était dirigé par la famille Dos Santos. L’acte d’accusation du MPC parle de nuitées – payées par Trafigura à Paulo Gouveia Junior – dans deux hôtels 5 étoiles genevois, d’un séjour au Carnaval de Rio réunissant Claude Dauphin, Mariano Marcondes Ferraz, ainsi que les hauts-fonctionnaires angolais Manuel Vicente et le général Dino, ou encore du paiement d’un camp d’été à Gstaad pour la fille de ce dernier. Il flotte alors une ambiance de fin de règne pour Trafigura en Angola.
À Luanda, la tour Caravela, où étaient domiciliées toutes les coentreprises de Dino et Trafigura, ne s’est pourtant jamais départie de son panneau DT Group…
Les « deux » corridors de Lobito
Le long du corridor, la locomotive diesel continue de filer sa route à travers les provinces centrales de l’Angola. Après les gares de Lobito et Catumbela, le paysage est désertique et inhospitalier, avec ses falaises abruptes et sa terre qui réfléchit le soleil. À bord, l’infatigable Marcelino Kienze Macole, 68 ans, effectue pourtant ce voyage pour la deuxième fois cette semaine. Parti de la zone minière congolaise de Lubumbashi, le vice-président de la Chambre de commerce et d’industrie Angola/RDC s’est rendu à Lobito pour rappeler que « l’argent ne doit pas s’arrêter au consortium », mais aussi bénéficier aux communautés locales.
Lors d’un arrêt d’une heure en gare de Huambo, un pin’s aux couleurs angolaises sur sa jaquette, il profite de la présence de journalistes étrangers pour expliquer sa démarche. « Pour que le corridor soit rentable, il faut la paix dans la région », soutient-il. « La guerre a détruit les infrastructures, isolant ces populations pendant des années. Elles ont le droit aujourd’hui de se développer. » Pourtant, la voie qui se dessine pour Marcelino Kienze Macole et les autres Angolais·e·s à bord semble toujours plus divergente de celle du consortium emmené par Trafigura.
Lobito, Catumbela, Huambo et la gare terminus de Luau. C’est à ces quatre points de passage que Trafigura a lancé, il y a près de 15 ans, des projets d’investissement dans des infrastructures ferroviaires, pavant le chemin d’une première tentative d’obtention de la concession du corridor sous la houlette personnelle du cofondateur de Trafigura Claude Dauphin. Plus préoccupant encore pour Trafigura : c’est l’intermédiaire Mariano Marcondes Ferraz en personne – condamné à 10 ans de prison pour corruption au Brésil – qui pilotait ces premiers investissements, comme a pu le confirmer Public Eye.
Comment Trafigura a mis le pied dans le corridor: une chronologie
1er septembre 2010
Création AngoFret Ltda, à Luanda, afin de développer des infrastructures le long d’une voie ferroviaire. La société fait partie de la galaxie DT Group, une coentreprise entre le général Dino et Trafigura (DT, pour l’acronyme)
Général Dino
Octobre 2010-juin 2011
Annonce création de plateformes logistiques multifonctionnelles à Lobito et Huambo ainsi qu’un centre de stockage à Catumbela. Investissement annoncé officiellement en Angola : $87,5 millions
Mariano Marcondes Ferraz
20 juin 2012
Création de Vecturis Ltda à Luanda par l’avocate de Trafigura Nahary C. La maison-mère de Vecturis dit aujourd’hui ne pas connaître cette filiale
Nahary C.
Janvier 2015 et avril 2016
Annonce création de deux plateformes logistiques rodo-ferroviaires à Huambo et Luena. Investissement annoncé officiellement en Angola : $52,7 millions
Général Kopelipa
4 juillet 2023
Octroi officiel de la concession du corridor de Lobito à un consortium composé de Trafigura, Mota Engil et Vecturis. Une année plus tard, les premiers convois de cuivre du Congo quittent Luau et rejoignent Lobito en moins d'une semaine.
À l’époque, Trafigura utilise une discrète société « bicéphale » nommée Angofret, dont on ne trouve plus trace aujourd’hui. Angofret Holdings (BVI) Ltd., domiciliée le 24 décembre 2009 dans les îles Vierges britanniques – via les services du cabinet d’avocat·e·s Appleby, au cœur de la fuite de données des « Paradise Papers » – voit le jour à la même période (2009-2010) que la plupart des coentreprises de DT Group. Propriété de Cochan S.A. à 99 %, le 1 % restant étant détenu par un cousin du général Dino, cette entité juridique est indirectement liée à Trafigura via DTH Investments (DT Group), une société établie aux Bahamas. En 2018 en tout cas, Trafigura en avait pris le contrôle.
Surtout, la caribéenne Angofret Holdings (BVI) Ltd., ainsi que ses actionnaires angolais, bien connectés auprès du gouvernement local, vont permettre à Trafigura de mettre un premier pied dans le corridor de Lobito. Le 1er septembre 2010, cette entité juridique fonde, avec le cousin de Dino et la République d’Angola, Angofret Ltda, deuxième du nom, « dans leur intérêt supérieur et dans l’intérêt général de la République d’Angola ». Cette société, qui sera vite domiciliée dans la Torre Caravela du groupe DT, est sous l’administration unique de Mariano Marcondes Ferraz.
« Mariano Marcondes Ferraz a effectivement participé à des réunions sur le projet angolais mais, le plus souvent, à Genève où il était basé », confirme Eric Peiffer, administrateur délégué de Vecturis, opérateur ferroviaire et partenaire de Trafigura dans le consortium, en précisant avoir « appris, par la presse, l’arrestation de Mariano Marcondes Ferraz au Brésil ».
C’est donc l’ancien cadre de Trafigura, tombé en disgrâce lors de l’affaire Petrobras, qui est alors officiellement responsable des investissements ferroviaires de la maison de négoce genevoise, à travers DT Group. Concrètement, il s’agit de la construction de quatre terminaux logistiques le long des voies ferrées, dans la première partie des années 2010. Ceci est corroboré par deux décrets présidentiels, publiés dans le journal officiel Diário Da República.
Le premier investissement de septembre 2010, portant sur un montant de plus de 87,5 millions de dollars divisé en deux tranches, est destiné à la construction de deux plateformes logistiques multifonctionnelles à Huambo et Lobito, soit à proximité du port atlantique où doivent être livrées des tonnes de cuivre et de cobalt, ainsi que d’un centre de stockage à Catumbela. Le cousin de Dino n’apporte, lui, que 50 000 dollars à cette pluie de millions. Détail piquant : tant ce dernier qu’Angofret Holdings (BVI) Ltd. sont représentés par une avocate qui disposait à l’époque d’une adresse e-mail hébergée par Trafigura et, surtout, qui se trouve être la petite-nièce du général Kopelipa, selon le journaliste angolais Nelson Sul. C’est la seule fois où le nom de Trafigura apparaît dans le contrat.
Le deuxième investissement prévoit la construction de deux plateformes multimodales à Huambo et Luena. Le contrat, daté du 29 octobre 2014, porte sur quelque 52,7 millions de dollars d’investissements. Le cousin de Dino a disparu, mais c’est toujours Mariano Marcondes Ferraz qui administre les opérations. À nouveau, c’est la même avocate angolaise, accompagnée d’un collègue, représente la société Angofret (BVI) Ltd., désignée comme « investisseur externe ». Les deux avocat·e·s envoient leurs courriels depuis des comptes @trafigura.com.
Contactée, l’avocate angolaise affirme ne plus travailler pour Trafigura. Elle n’a pas souhaité évoquer ses liens familiaux avec le général Kopelipa ou ses activités liées à Vecturis, la société qui possède officiellement 1 % de parts dans le consortium LAR et a pour mission d’opérer les trains du corridor de Lobito, activité pour laquelle il va toucher une redevance (montant non divulgué).
Le 20 juin 2012, c’est en effet l’avocate de Trafigura qui a enregistré la société Vecturis Logística, Portos e Caminhos de Ferro, Ltda. La filiale angolaise du groupe belge est alors décrite comme une société appartenant à DTS Serviços Ltda et DTS Imobiliária Ltda, soit DT Group. En 2015, on la retrouve domiciliée en tant que telle dans le bâtiment Torre Caravela, au côté de toutes les sociétés de la coentreprise entre Dino et Trafigura, notamment une certaine Angofret Ltda.
Paradoxalement, Vecturis est aujourd’hui introuvable à Luanda. Lors de notre passage à la Torre Caravela, le réceptionniste semblait très gêné à l’évocation d’une quelconque société de DT Group, malgré l’immense panneau qui orne encore la devanture de l’édifice. Il nous a renvoyé vers la « Torre X », nouvelle adresse de Trafigura.
Vecturis est-elle une société indépendante ? C’est dans tous les cas un étrange choix de partenaire pour le consortium LAR. En Belgique, la société ne compte que quatre collaborateurs et un chiffre d’affaires plus proche de celui d’une petite ONG que d’un opérateur ferroviaire « assurant des services de transport voyageurs, minier et commercial dans le monde entier ».
Interpellé, son cofondateur Eric Peiffer, précise que le chiffre d’affaires de Vecturis est essentiellement constitué par des factures de prestation ou de conseil : « accessoirement, c’est aussi parce que nous sommes sur un marché au risque-pays élevé que nous avons toujours cherché à avoir le siège le plus léger possible ». Il dit, en revanche, ne rien savoir de la société angolaise nommée Vecturis Ltda, créée par l’avocate de Trafigura : « Je n’ai pas été associé à cette constitution qui, sans doute, a été organisée au moment où Trafigura envisageait d’intervenir au capital de Vecturis », quand les deux sociétés tentaient déjà d’obtenir la concession du corridor de Lobito, juste avant le décès de Claude Dauphin en 2015... et la chute du président Dos Santos en 2017.
Dans sa réponse adressée à Public Eye, Trafigura souligne avoir obtenu la concession du corridor de Lobito à travers « un processus d’appel d’offres transparent géré par la Commission d’évaluation de l’Angola, McKinsey agissant en tant que conseiller technique ». La maison de négoce dit aussi ne pas avoir de « liens corporatistes » avec Vecturis, ne plus compter – depuis décembre 2021 – le général Dino parmi ses actionnaires ni ceux de l’une de ses filiales. Elle ajoute que le général Kopelipa n’a été actionnaire d’« aucune des entités légales du groupe Trafigura ».
Avant l’arrestation de Mariano Marcondes Ferraz, Trafigura semblait relativement à l’aise avec ces premiers investissements le long du corridor, puisque le négociant les mentionne dans ses rapports annuels de 2013 à 2015. C’est même l’homme d’affaires brésilien, photo de profil à l’appui, qui évoque déjà le potentiel du port de Lobito, situé face à la ceinture de cuivre centre-africaine, une « étroite collaboration avec des partenaires internationaux et locaux » ainsi que des investissements pour « le futur de l’Angola ». La suite de l’histoire est connue.
Au terminus, tout recommence
Après bientôt 24 heures de voyage, le train du Caminho de Ferro de Benguela pénètre dans la province de Moxico et sa forêt tropicale. Cet ancien fief de l’UNITA, un parti anti-communiste opposé au MPLA pendant la guerre civile angolaise, était l’une des régions les plus minées du pays. Le long des voies du corridor, l’ONG anglo-saxonne Halo Trust a déjà enlevé près de 2000 mines anti-personnelles, entre 1997 et 2010, afin de permettre la réhabilitation du chemin de fer, mais 10 millions de mètres carrés doivent encore être nettoyés le long des voies, selon Halo Trust.
D’autres types de dangers guettent désormais la région. Le 15 août dernier, un train du consortium a déraillé à 127 kilomètres de la capitale provinciale Luena, avec à son bord des tonnes de soufre. L’information de l’agence de presse angolaise a à peine été reprise ou creusée. L’accident, sans victime, a interrompu le trafic ferroviaire pendant au moins une journée. Dans cette région reculée, la question de potentielles conséquences environnementales n’a été ni abordée ni commentée par les médias. Sur demande de Public Eye, Trafigura a transféré une lettre de LAR, datée du 7 octobre 2024, au ministère angolais de l’Environnement. Le consortium y évoque un wagon de « 32 sacs d’une tonne de soufre » qui n’ont pas été endommagés par l’accident occasionné sur 400 mètres de voies, « dans une zone déjà endommagée par un déraillement antérieur d’un train de passagers ».
Cet accident met également en lumière le côté moins vertueux du corridor de Lobito. Dans un sens, les wagons de LAR transportent du cuivre et du cobalt, encore en petites quantités vu la capacité du réseau. Dans l’autre, c’est du soufre et du carburant qui voyagent vers les mines congolaises de Kolwezi dont le fonctionnement est assuré le plus souvent par des générateurs électriques, désormais alimentés via les centres de stockage de Trafigura (Impala Terminals). De quoi craindre une catastrophe écologique au vu de la vétusté des infrastructures ferroviaires.
Mais pour Trafigura, le retour en Angola est gagnant sur tous les tableaux. En plus de la concession ferroviaire de 2022, la maison de négoce a à nouveau décroché, en février 2023, l’approvisionnement en diesel des stations-service angolaises.
Ricardo Soares de Oliveira est dépité. « Le retour de Trafigura en Angola témoigne du manque d’imagination des élites en matière de politique économique, alors que les réformes anti-corruption se sont révélées cosmétiques. Trafigura n’a pas uniquement pu sauver son bastion angolais mais elle a gagné en respectabilité », analyse-t-il.
Malgré le changement de régime en septembre 2017, l’Angola fait toujours partie du wagon des pays les plus corrompus au monde. Il stagne à la 121e place (sur 180) de l’indice de référence de Transparency International. Pire, la chute de la rente pétrolière dès 2015 a entraîné un important coup de frein dans le développement social du pays. Largement importés, les biens de consommation sont toujours plus chers, alors que le taux de chômage atteint des niveaux insoutenables dans les centres urbains et chez les jeunes (respectivement 42 et 58 %). Plus d’un tiers des 38 millions d’Angolais·e·s vit avec moins de 2,15 dollars par jour, selon les données de la Banque mondiale.
« Les gens associent Lourenço à la fin de la croissance, soutient Filipe Calvão, professeur associé au Graduate Institute de Genève et spécialiste des économies extractives subsahariennes. Les Angolais ont l’impression que le nouveau régime a écarté la famille Dos Santos pour y placer les siens, comme dans un jeu de chaises musicales. Il flotte un courant de nostalgie ; les gens regrettent leur "princesse" Isabel. » L’ombre de la fille de l’ancien président José Eduardo Dos Santos plane en effet souvent sur les discussions de café à Luanda. Difficile de s’en étonner, au vu de la conjoncture économique actuelle, reflétée par l’état de délabrement d’une bonne partie du centre-ville historique. Dans la région de Luanda, un proverbe kimbundu, une langue bantoue, ne dit-il pas « Soit il y a une moralité, soit tout le monde a à manger » ?
Mais dans cet éternel jeu des chaises musicales angolais, les entreprises du consortium semblent sûres de maintenir leur trône. Comme Trafigura, son partenaire portugais Mota Engil frayait aussi avec des proches du régime. Sa filiale angolaise comptait dans son capital – entre mai 2014 et septembre 2022 – Sonangol Holdings (20 %). C’est son directeur Manuel Vicente, le « Monsieur Pétrole » de l’Angola, qui avait soutenu la stratégie de diversification de la société pétrolière publique angolaise. Sonangol a vendu ses parts dans la filiale deux mois après l’attribution de la concession au consortium LAR. Parmi les autres actionnaires de Mota Engil, on comptait les banques angolaises Finicapital (15 %) et Banco Millennium Atlântico (5 %), selon le média angolais O Telegrama, toutes deux en mains de Carlos Silva. Cet homme d’affaires luso-angolais est proche de Manuel Vicente, puisqu’il a financé un plan corruptif visant à archiver une procédure pénale contre le haut-fonctionnaire au Portugal. Le procureur corrompu a été condamné à de la prison ferme mais, en Angola, Manuel Vicente et Carlos Silva font toujours affaires.
Le professeur Heitor Carvalho pointe ce paradoxe apparent : « Les procès à l’étranger n’ont aucune influence en Angola. On condamne les corrupteurs là-bas mais, ici, les corrompus continuent leur quotidien. »
À la gare terminus de Luau, chaque jeudi, c’est la même histoire. Le train du Caminho de Ferro n’a que deux wagons de troisième classe et, à l’approche de la fin de semaine, les voyageurs et voyageuses courent le risque de se retrouver bloqué·e·s dans cette ville-frontière sans grand intérêt, entre l’Angola et la RDC. Alors, à l’arrivée du train en gare, la tension est déjà palpable, quand une pluie latérale s’abat soudainement sur le quai. La tempête parfaite.
Dans les cris, celles et ceux qui patientaient en file depuis des heures sont repoussé·e·s par les forces de l’ordre laissant passer une poignée de privilégié·e·s. La plupart des gens feront les sept heures de voyage debout, jusqu’à Luena, compressés dans un wagon brûlant. Nous ne serons pas autorisés à documenter ces instants par la police. « Ils ne veulent pas que vous montriez la situation », glisse un employé de la compagnie ferroviaire.
Dans l’exaltation du wagon, après avoir conspué la présence étrangère de ceux qui « prennent la place des Angolais », une jeune mère de deux enfants entonne une chanson sur la lutte pour l’indépendance de l’Angola, Velha Chica. La vieille Chica, la grand-mère du peuple qui lavait le linge des hommes importants, livre encore et toujours ce message aux générations futures : « Xé menino, não fala política » (Hey garçon, ne parle pas de politique).
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Texte : Adrià Budry Carbó, en collaboration avec Manuel Abebe
Édition : Géraldine Viret
Photos & vidéos : Tommy Trenchard / Panos Pictures
Cartes : Fabian Lang
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